02 Déc 2014

Les gardiens du temple gauchiste

Category: Leaders (politicards),Partis (politicards)Léo @ 13 h 32 min

Il y a quelques années, la lecture dans Le Débat de novembre/décembre 2010 d’échanges entre son Directeur et Régis Debray laissait augurer une sorte d’aggiornamento progressif et heureux chez cet intellectuel très marqué à gauche. On aurait presque parié que Régis Debray allait s’excuser d’avoir suivi l’aveuglement idéologique hexagonal des années soixante dix.

Récemment, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre : « L’erreur de calcul » ou tout simplement en réaction à la phrase prononcée par Manuel Valls : « J’aime l’entreprise »,  les interviews de Régis Debray dans différents média montrent au contraire qu’il n’en a rien été. Non seulement il n’est pas question d’un Bad Godesberg personnel, mais c’est même un retour à la case de départ qui nous est servi.

En effet, dans la bouche de cet auteur, l’économie, la bourse, les patrons et les entreprises apparaissent comme de dangereux spectres qui rodent autour de la société et qui vont la détruire. A l’inverse, la gauche est décrite comme originellement parfaite et pure, et comme ne nécessitant surtout pas la moindre réforme en direction de ces spectres. En fait, c’est à la société toute entière de revenir vers les valeurs initiales de la gauche, et ce n’est clairement pas à l’inverse qu’il faut se résoudre. En d’autres termes, et c’est le sujet annoncé du livre, vouloir adapter la gauche au monde libéral et entrepreneurial est une totale méprise.

Certes, les propos de Régis Debray peuvent encore changer, et son livre n’est probablement qu’une réaction conjoncturelle à un virage que certains rares individus du Parti Socialiste aimeraient faire prendre aujourd’hui à la gauche française. Et sans doute la voix de Manuel Valls a-t-elle porté un peu plus que celle de ses prédécesseurs réformistes.

Néanmoins, le fait que l’une des figures de proue les plus « authentiques » (pour ne pas dire « collector ») du socialisme français soit capable d’afficher une telle réaction, fin 2014, dans un pays qui s’enfonce justement à cause de son refus de jouer à armes égales avec le reste de la planète, laisse pantois et trahit clairement les problèmes suivants :

La gauche française est « uber alles » « for ever »

Elle s’est positionnée au dessus de toutes ses concurrentes, et elle doit le rester car elle leur est intrinsèquement supérieure. Etant ontologiquement supérieure, elle n’a pas besoin de s’adapter, ni de se mélanger. Et bien évidemment, elle exige que ses adversaires en fassent de même : la droite est définitivement fasciste, les libéraux sont définitivement des suceurs de sang des pauvres. Ainsi, les vaches seront bien gardées.  

Cette posture rappelle celle d’il y a quelque années de Jean François Kahn, autre figure de proue « authentique » de la gauche : lorsque la crise des subprimes s’est déclenchée, JFK  déplorait le fait que le gouvernement Sarkozy/Fillon fasse du keynésianisme pour la combattre. Puisqu’il s’agissait d’un Etat de droite, il lui était forcément interdit de butiner parmi les recettes qui « appartiennent » à la gauche. Comme si les outils à la disposition des gouvernements étaient étiquetés, labélisés, et réservés à vie ! Pire, c’était comme si l’histoire avait déterminé des symboles politiques auxquels la réalité devait se conformer ad vitam aeternam. Ce qui montre une autre composante de cet attachement à l’image idéale et définitive de la gauche française :

Le monde ne change pas, cultivons les icônes

Puisque la gauche est parfaite, pure et idéale, et puisqu’il existe des incompatibilités entre cette gauche et le réel actuel, il faut en tirer les conséquences et changer le réel pour qu’il redevienne comme avant. Pourquoi la gauche changerait-elle puisqu’elle est définitivement d’une essence supérieure ?

L’Histoire de la gauche, celle de l’époque des grandes valeurs socialistes française est une référence immuable qui doit définitivement nous servir de boussole. Il n’y a aucune raison que l’évolution du monde rende caduque cette boussole. Et d’ailleurs, de quel droit le monde pourrait-il s’écarter de celle-ci ? Et puis, comme c’est l’avis des tenants de la gauche française, de quel droit cet axiome serait-il faux au-delà de nos frontières ? De quel droit d’autres systèmes de valeurs pourraient-ils se répandre ailleurs, qui ne soient pas en conformité avec le nôtre ? Ces questions trahissent elles-mêmes une incroyable fatuité :

La France est le nombril du monde, rien ni personne au-delà de nos frontières mérite que nous réfléchissions à la pertinence de nos valeurs

En filigrane, effectivement, la pensée de la gauche française « authentique » ne peut imaginer un seul instant que ses valeurs puissent ne pas être partagées par le reste de la planète. Deux questions s’imposent aussitôt : cette gauche-là ne se serait-elle pas calcifiée sur la période de l’histoire  pendant laquelle l’hexagone dominait la pensée philosophique et scientifique mondiale ?  Ne souffrirait-elle pas d’une profonde et douloureuse crise de nostalgie au point de refuser de regarder le réel en face ? Lorsque l’on ne peut accepter le réel, alors on se convainc qu’il n’a pas lieu :

Rien de ce qui se passe ailleurs n’existe

Soyons francs : les gardiens du temple de la gauche « authentique » n’ont que faire des évènements qui parcourent la planète. Que la grande pauvreté recule significativement dans le monde, que le nombre de riches soit de plus en plus élevé, que le progrès s’accélère, que l’espérance de vie globalement s’améliore, tout cela ne la concerne pas. Tout cela ne serait-il pas faux ?  N’étant pas conforme avec l’idéologie, comment cela pourrait-il exister ?

  

Force est de constater que derrière ces quatre dimensions caractéristiques des postures de la gauche française « authentique » se cachent des crispations bien plus prosaïques :

– l’aveuglement idéologique abolit toute capacité de jugement

– il interdit de considérer le monde actuel dans ce qu’il a de positif (seuls ses défauts ont une existence réelle)

– il force à se cramponner à la nostalgie du passé et interdit chaque jour tout ce qui remet celle-ci en question

– il est réfractaire à l’économie, à l’entreprise, à la finance, au reste du monde, au changement, à la mobilité, et il méprise tout cela à la fois.

Certes, ces tenants de la pensée de la gauche française « authentique » sont clairement les réactionnaires d’aujourd’hui. Mais pire encore, n’y-aurait-il pas de l’autisme derrière tout cela ?

Une façon plus optimiste de voir les choses consisterait à penser que si les gardiens du temple tels que Régis Debray se dressent sur leurs ergots, c’est parce que justement le temple est attaqué comme jamais. Pourtant, là encore, il est difficile de comprendre la virulence de ses diatribes contre la gauche actuelle qui, selon ses propres termes, serait en passe de devenir libérale. Jusqu’à preuve du contraire, strictement rien dans les faits ne permet de dire cela ! C’est même le contraire !

 

Une réponse à “Les gardiens du temple gauchiste”

  1. Les gardiens du temple gauchiste - Les Observateurs a dit:

    […] et auteur : le Blog de Claude Robert, 2 décembre […]

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