04 Jan 2021

Dette publique et mortalité du coronavirus : la surprise de l’année 2020 ?

Category: Grandes énigmes socialistes,ManagementLéo @ 13 h 08 min

Les crises ont cela d’avantageux qu’elles font redécouvrir des principes de base auxquels on ne prêtait plus attention. Ainsi en est-il de la dette publique, dont la dimension symptomatique nous interpelle tout d’un coup…

Alors que la pandémie du coronavirus sévit depuis près d’un an, les écarts de mortalité d’un pays à l’autre sont considérables : moins d’un décès par million d’habitants pour les moins touchés contre plus de 1600 victimes par million d’habitants pour les plus impactés[1]. On peut certes craindre que les chiffres soient moins jolis qu’ils n’y paraissent chez certains pays un peu trop miraculeusement épargnés. Néanmoins, des différences aussi phénoménales font réfléchir.

Il est compréhensible que des pays naturellement isolés comme l’Australie, le Japon et la Nouvelle Zélande se retrouvent dans le bas du tableau mais cette dernière est 5 fois moins affectée que son presque voisin asiatique. Quant à l’Angleterre, également une île, elle se trouve aux antipodes du classement. Plus frappant encore, l’Allemagne et la Belgique qui ont pourtant une frontière en commun, affichent une disparité également proche de 1 à 5[2]. Il semble donc difficile de s’en remettre à des considérations purement sociogéographiques, encore moins d’envisager des variations de souches virales, ce que les études scientifiques auraient de toute façon démontré depuis longtemps[3]. De toute évidence, les explications se trouvent ailleurs…

Des pays clairement plus efficaces que d’autres

La similarité des efforts déployés par les pays généralement considérés comme exemplaires face à la pandémie ne laisse en effet aucun doute. Ce sont bien sûr ceux au sein desquels la lutte contre la pandémie a été la mieux organisée qui s’en sortent le mieux. Corée du Sud, Hongkong, Allemagne et Australie pour n’en citer que quatre, ont fait preuve des mêmes compétences opérationnelles dans les décisions prises par leurs gouvernements respectifs.

A l’aune de tels chiffres, la crise du coronavirus semble donc nous fournir une échelle de comparaison implacable. Quoi de plus important en effet, pour un Etat et son gouvernement, que de préserver sa population contre un fléau ? Quoi de plus révélateur de son efficacité que ses résultats depuis presque un an dans son combat contre la pandémie ?

De fait, l’existence de cette nouvelle échelle de comparaison particulièrement factuelle ouvre la porte à bien d’autres parallèles. Il est en effet tentant de profiter de ce mètre étalon de l’efficacité pour le confronter à certains types de gouvernance, et de vérifier s’ils sont liés ou pas. Parmi ceux-ci, le niveau d’endettement public[4] constitue une dimension particulièrement intéressante à tester.

Outre qu’elle fait l’objet de débats contradictoires et très politiquement polarisés, avec d’un côté les tenants de la rigueur et de l’autre, ceux qui prônent le laxisme, la dette ramenée au PIB est un indicateur qui possède deux avantages : son inertie, puisque qu’elle n’évolue que très lentement, et donc sa fiabilité, puisqu’elle trahit de ce fait une espèce d’héritage des gestions passées. Un endettement faible révèle en effet une succession d’exercices vertueux, témoignages d’une bonne gestion construite et poursuivie par plusieurs gouvernements sur la durée. A l’inverse, un très fort endettement prouve exactement l’inverse. Tout cela paraît parfaitement logique. Mais que disent les chiffres ?

Une coïncidence qui n’en est pas une

Lorsque l’on croise les données de mortalité pandémique du coronavirus avec celles de l’endettement de l’Etat, on obtient deux séries de chiffres réparties sur près de 200 pays[5]. Or, malgré la disparité de taille et de développement de ces pays, les deux séries de chiffres font apparaît une belle corrélation en leurs extrêmes puisque les 40 pays les plus endettés ont une mortalité supérieure de 77% à celle des 40 pays qui le sont le moins :

 

 

 

 

 

Les écarts sont encore plus significatifs si l’on considère simplement les 37 pays de l’OCDE[6], par définition plus comparables entre eux, avec un écart de 61% de mortalité:

 

 

 

 

 

Un symptôme très actuel

Le niveau d’endettement public d’un pays n’est évidemment ni le seul indicateur de la qualité de sa gestion, ni le meilleur en toutes circonstances. Au sortir d’une crise majeure[7], la dette est au contraire un impératif, une nécessité qui permet d’accélérer la reconstruction d’une nation. Toutefois, dans une période relativement peut troublée comme la nôtre (chiffres des dettes d’avant la pandémie), et devant la persistance de tels écarts de mortalité sur les quatre échantillons ici comparés, force est de constater qu’il existe une relation entre inefficacité de l’action publique face au coronavirus et taux d’endettement extrême. En termes plus prosaïques, par les temps qui courent, il est nettement plus sûr pour sa santé de vivre dans un pays budgétairement vertueux !

La dette n’est certes pas la cause directe des écarts de mortalité. Néanmoins, la significativité statistique de ces comparaisons prouve que la liaison entre les dégâts causés dans un pays par la pandémie (en nombre de morts ramenés à la population), et le niveau d’endettement de l’Etat ne peut être fortuite. Dette de l’Etat et mauvaise organisation contre la pandémie sont vraisemblablement dépendantes des mêmes causes.

Le côté obscur de la dette publique

Non, la dette n’est visiblement pas qu’un simple jeu d’écriture comme l’annonçait Edgar Morin. Elle révèle au contraire beaucoup des Etats qui s’y adonnent. Qu’un président français ait osé se moquer du « fétichisme de l’excédent budgétaire »[8] allemand résume parfaitement la pente actuelle des pays qui vivent au-dessus de leurs moyens.

La pandémie du coronavirus nous prouve en effet combien ceux-ci se sont généralement montrés moins efficaces que les autres. Rien d’étonnant à ce que l’addiction d’un gouvernement pour l’endettement soit finalement l’expression de sa propre procrastination. Plus enclin à fuir dans des jours meilleurs, il ne cesse paradoxalement d’en retarder l’échéance.

 

[1] Seule donnée comparable d’un pays à l’autre puisqu’il s’affranchit de l’effet taille de la population. Chiffres au 22/12/20 source Worldometer. Moyenne mondiale = 221 décès par million d’habitants

[2] Au 22/12/20 source Worldometer

[3] Ce n’est que depuis décembre 2020 que l’on parle d’une souche apparue en Angleterre et qui se caractériserait par une meilleure transmissibilité

[4] Ou dette de l’Etat, ici considérée en pourcentage du PIB, ce qui permet une relativisation aux capacités de remboursement de chaque pays, et qui donc autorise une comparaison d’un pays à l’autre. Chiffres 2016/2017 source CIA

[5] Les données n’étant pas toujours disponibles, il faut enlever les quelques pays pour lesquels l’une des deux données est manquante. Le tableau a été exploitable pour 170 d’entre eux

[6] OCDE = 37 pays membres

[7] Episodes de guerre, risques systémiques (cf. la crise des subprimes)

[8] Emmanuel Macron, à Aix la chapelle en avril 2018

 

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