10 Avr 2018

Réforme de la SNCF, nouvel échec de l’élite politique à la française

Category: Société (pervertie)Léo @ 13 h 06 min

Avec la grève de la SNCF et les mouvements observés à la fois dans les universités et certains services publics, flotte comme une odeur de mai 68. Certes, s’il y a des mouvements sociaux, c’est parce qu’il y a des projets de réforme serait-on tenté d’espérer. Or, les  réformes en cours n’ont rien de radical, elles ont juste été amenées avec cette maladresse technocratique qui caractérise la plupart des gouvernements, maladresse due à l’inexpérience et à l’immodestie habituelles de notre classe politique.

Des « change-managers expérimentés », tel est le profil qui devrait peupler le gouvernement à la place de ces indéboulonnables hauts fonctionnaires, tous très diplômés mais à peu près vierges de la moindre pratique du management des hommes. Michel Crozier, sociologue des organisations, ancien juré de l’ENA, militait pour la fermeture de cette école et pestait contre cette fameuse « sélection de l’élite à la française ». Avec les grèves actuelles, grèves déclenchées pour des réformes pourtant superficielles, nous payons au prix fort ce travers typique de la France, ce pays qui, à chaque élection présidentielle ou presque met son avenir entre les mains d’un « haut fonctionnaire » qui lui-même s’entoure de ses semblables pour former son gouvernement. Si la France était une entreprise privée, et que les élections étaient remplacées par un recrutement sur profil à partir d’objectifs précis, nos gouvernants seraient tellement différents ! Mais restons factuels et analysons le douloureux cas de la SNCF…

Reformer la SNCF : comment des spécialistes du change-management auraient procédé ?

La règle de base du change-management réside dans la gestion des oppositions, ces fameuses inerties que tout un chacun oppose consciemment ou inconsciemment à toute évolution de son travail. Le meilleur moyen d’utiliser ces forces d’inerties et de les transformer en une adhésion constructive autour d’améliorations pertinentes consiste bien évidemment à déterminer ces améliorations avec le personnel lui-même. Mais il y a tout un cheminement à respecter par ailleurs, ne serait-ce que par respect des susceptibilités :

  • 1-Consultation de l’ensemble des acteurs

A l’inverse des réformes claironnées du sommet de la hiérarchie, de type top-down, le change-manager va tout d’abord consulter l’ensemble des directions, fonctions, personnels et organisations syndicales pour prendre le pouls de la situation et relever les dysfonctionnements les plus handicapants.

  • 2-Communication de l’état des lieux et des objectifs visés

Au lieu de prendre en traître le personnel ou de lui raconter des histoires, le plus efficace consiste à faire en sorte que celui-ci soit informé des dysfonctionnements qui ont été remontés. A ce stade-là, la direction a également tout intérêt à annoncer clairement, et de façon aussi diplomatique que factuelle, la nature des objectifs qu’elle envisage de son côté. A elle de faire en sorte que ses objectifs coïncident, ne serait-ce que partiellement, avec les améliorations que le personnel appelle de ces vœux. Mais il est encore trop tôt pour présenter la moindre solution car c’est avec lui que cela doit se préparer

  • 3-Elaboration avec le personnel des changements à opérer

Il ne s’agit pas de laisser le personnel s’exprimer de façon illimitée et irrationnelle. Pour autant, rien n’est plus apprécié par celui-ci que d’être convié à des groupes de travail thématiques, domaine par domaine, afin de trouver les solutions dont chacun a besoin. D’ailleurs, les change-managers le savent : personne n’est mieux placé pour améliorer un processus que les cadres ou employés qui le pratiquent quotidiennement. C’est à ce moment-là qu’en fonction des thèmes prévus pour chaque groupe de travail, le personnel le plus pertinent doit plancher sur les réformes souhaitées par la direction. Ces réformes ne sont certes pas forcément celles auxquelles il aurait pensé (surtout lorsqu’il s’agit d’un changement de statut et de pertes d’avantages) mais celles-ci sont d’autant moins rejetées qu’elles s’appuient sur des analyses objectives et chiffrées indiscutables. Il incombe donc à la direction d’informer le personnel de façon transparente et détaillée, en tablant sur sa compréhension des enjeux et sur sa responsabilisation. Surtout, les ateliers constituent le lieu idéal pour trouver des accords en prévenant les conflits sociaux par le dialogue et la recherche commune de solutions. En général, ils permettent de procéder à des négociations de type gagnant-gagnant : un accord qui satisfait un objectif de la direction compense un accord en faveur du personnel sur un autre domaine, et ainsi de suite. Et plus le personnel aura été consulté et sera à l’origine des changements décidés, et plus il mettra de l’ardeur à les mettre en place. Telle est la règle d’or de toute transformation.

  • 4-Validation et information en temps réel du personnel

Chaque avancée sur chacun des thèmes doit être validée par le personnel et ses représentants. Des rapporteurs doivent être choisis de façon représentative et doivent continuellement tenir informé le personnel via des réunions de restitution régulière. Tant que chaque étape est officiellement validée, le projet avance de façon consensuelle et le risque de dérapage est faible. Les organisations syndicales font bien évidemment partie intégrante du dispositif, et des groupes de travail spécifiques les concernant permettent de s’assurer qu’elles ne jouent pas un double jeu. L’idéal est de faire en sorte qu’elles soient motrices dans les étapes clé du projet, et ce pour un double avantage évident : elles en sortent valorisées aux yeux du personnel ce qui souvent leur permet de se passer de leur rôle d’opposant stérile toujours à la recherche de la surenchère. Un projet bien géré permet en général de maintenir les différents acteurs à leur juste place.

  • 5-Communication

L’erreur que doit éviter toute direction est de claironner à l’avance son projet de réforme en donnant le détail des transformations qu’elle veut imposer. Au début du projet, la communication doit rester exclusivement en interne à l’organisation. Ce n’est qu’à la fin du projet, lorsque les changements souhaités à la fois par la direction et par le personnel ont été déterminés dans le détail, puis validés par chacun, que le projet peut-être communiqué à l’extérieur. Ainsi, cela permet d’éviter qu’il y ait officiellement un gagnant qui a imposé ses choix (la direction) et un perdant ulcéré par la perte de ses avantages (le personnel).

Telles sont les règles des techniques de transformation des entreprises : pragmatisme, respect du personnel et modestie. C’est un métier en tant que tel qui, comme le management, s’apprend sur le tas, à partir de cycles d’échecs et de réussites à la hauteur des responsabilités que l’on acquiert progressivement dans toute entreprise. L’exact inverse de cette maudite sélection de l’élite politique à la française.

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