02 Mai 2019

Conférence du président post grand débat : astuces verbales et body-langage

Category: Grandes énigmes socialistes,Leaders (politicards)Léo @ 19 h 37 min

La conférence de presse d’Emmanuel Macron du 25 avril 2019[1] censée clôturer la crise sociale des gilets jaunes est un moment décisif dans l’histoire récente du pays, un moment bourré d’enjeux et de tensions, un moment dont l’analyse approfondie nous apprend forcément bien plus que le banal quotidien politique.

Hélas, en visionnant plus particulièrement les moments charnières[2] de cette conférence, de nombreux indices tant sur le plan du contenu que sur celui du body langage confirment chez le président Macron les traits de caractère qui lui sont si souvent prêtés…

Outrecuidance et narcissisme

Ainsi commence le discours du président : « J’ai souhaité vous rencontrer devant les Français, qui nous écoutent et nous regardent, pour tirer les conclusions du grand débat national et proposer au pays les orientations du nouveau acte ». Alors que la grogne sociale des gilets jaunes en est en sa vingt-troisième semaine et que le mouvement s’est méchamment durci, ne nous y trompons pas, le président s’exprime comme si c’était lui qui recevait la France en conférence, et non pas celle-ci qui se serait invitée via la colère de la rue. On apprend également que les Français sont spectateurs de cette conférence, et que ce ne sont pas eux qui exigent des changements mais le président qui leur propose des orientations.

Sans même avoir à rappeler le faible score audimat de cette conférence[3], de telles réactions trahissent une personnalité à l’infatuation et à l’égocentrisme assez développés. Les circonstances auraient exigé un minimum d’humilité et d’empathie, mais ne rêvons pas, ce n’est pas le genre de l’individu.

Il en est de même à la fin de la quatrième minute (4:50), pendant laquelle le président se met en avant, lui seul d’ailleurs, et sans son gouvernement qu’il n’évoque qu’ensuite lorsqu’il s’agit de partager le bilan : « c’est pour cela que j’ai apporté une première réponse, dès le 10 décembre dernier, une réponse d’ampleur… », comme pour se justifier face au maintien de la grogne sur une aussi longue période, comme si celle-ci n’était qu’une affaire entre la rue et lui-même[4].

A la cinquième minute, le président déclare : « C’est aussi pour cela que j’ai voulu ce grand débat national, exercice inédit dans les démocraties contemporaines, dans lequel je me suis personnellement engagé au côté des maires et qui a permis à plusieurs millions de nos concitoyens de participer ». En disant cela, le président reprend une certaine assurance. Il sourit et a tendu le bras gauche bien droit jusqu’au milieu du bureau ce qui peut s’interpréter comme une reprise du pouvoir face à une épreuve dont il se glorifie d’ailleurs aussitôt de l’avoir surmontée : « je dois dire la grande fierté qui est la mienne d’avoir vu durant ces mois nos concitoyens prendre part à ces débats… ».

Encore une fois, le président se met au centre, et s’auto-congratule, ce qui paraît clairement déplacé en pareil contexte. Cela prouve aussi combien la blessure narcissique est vive et combien l’individu tente de rétablir une image parfaite de lui-même en se disculpant de toute erreur de sa part[5].

Ce travers ressurgit dans toute sa splendeur lorsque pour clore cette conférence de presse interminable[6], après avoir répondu aux questions des journalistes, le président se lance dans une tirade (entre 2:24:34 et 2:27:23) pendant laquelle il répète pas moins de 14 fois « je » : « Voila, j’avais pris un engagement, et au-delà du dépassement du temps, il a été rendu. Je voulais vous remercier pour cette conférence de presse, il y en aura d’autres…/… parce que c’est aussi conforme à cet aggiornamento que je souhaite, je crois très profondément que ce que nous sommes en train de faire et que nous devons faire aujourd’hui, c’est d’ouvrir ce nouvel acte  que j’évoquais, cette ré-humanisation, ce ré-enracinement d’un projet de transformation profond, c’est celui que je veux que nous réussissions avec le gouvernement, les partenaires sociaux et l’ensemble des élus. J’y donnerai toute mon énergie et donc j’y reviendrai souvent avec vous. Parce que je crois très profondément à ce que j’ai évoqué à plusieurs reprises, cet art  un peu particulier d’être français, c’est ce dont le pays a besoin et c’est une part de la réponse à la boule au ventre du matin. Je crois que, je crois aux symboles et à l’esprit du temps, ce qui s’est passé la semaine dernière et que notre pays a vécu, ces pages se retournent toujours vite dans l’actualité qu’on traverse, a dit quelque chose de la très grande spiritualité, l’esprit d’engagement de notre pays, de sa capacité à répondre, à se mobiliser, espérer et  vouloir renaître, et je crois que ce qui s’est vu et senti dans ce moment-là, c’est la part de vérité de cet art d’être français. C’est la fin de l’esprit de division, c’est la volonté de bâtir ensemble profondément, résolument ce modèle humain et  français. Je vous remercie, et  à bientôt »…

Déni ou mépris du réel

Dès la seconde minute de son discours, Macron critique le mouvement des gilets jaunes. Au lieu de s’appesantir sur ses causes et sur la souffrance qui le motive, il tente de le décrédibiliser en en détaillant les faiblesses et les paradoxes. Puis il essaie de lui enlever toute légitimité en le réduisant à ses composantes extrémistes : « ce mouvement a ensuite été récupéré, nous l’avons tous vu, par les violences de la société, l’antisémitisme, les attaques contre l’homophobie… ».

Une telle synecdote[7] est révoltante de vice car en choisissant des symboles aussi émotionnellement chargés qu’inattaquables dans leur fondement, le président utilise un artifice terriblement puissant. C’est d’ailleurs une constance de sa part. Jamais il ne fait montre de compassion pour un mouvement qui semble entraver si ce n’est sa carrière, tout au moins sa vie quotidienne. Au contraire, il tente de le dénigrer.

A la cinquième minute (5:34), tandis qu’il passe la brosse à reluire sur lui-même puis sur les Français qu’il a rencontrés pendant les débats municipaux, un détail est assez significatif de la distanciation pour ne pas dire du mépris qu’il porte à leur égard : « …la grande fierté qui est la mienne d’avoir vu durant ces mois nos concitoyens prendre part  à ces débats, dire leur part de vérité, proposer, réfléchir… ».

En effet, le président se félicite de la participation des citoyens à ces rencontres pour aussitôt émettre un doute sur ce qu’ils ont raconté. « Leur part de vérité » est une expression symptomatique de cette distanciation. Elle sous-entend automatiquement l’idée que c’est leur part de vérité mais ce n’est pas la mienne. Il faut d’ailleurs regarder la mimique du président à cet instant précis (5:36): il écarte les mains grand ouvertes et fronce les sourcils dans une expression très dubitative, comme s’il se référait à un catalogue de récriminations assez méprisables, une espèce de n’importe quoi qu’il fallait malgré tout écouter, position de président oblige.

De la minute cinq à la minute neuf, Macron détaille ce qu’il a retenu de ces débats et on y relève une multitude de souffrances génériques concernant « le sentiment d’injustice », « les familles monoparentales », « les angles morts » de l’organisation de la société, l’absence « d’aides publiques » ou de « transports en commun », « le sentiment d’abandon » mais rien de vraiment concret concernant le chômage… Dans la bouche du président, les expressions forcément terre à terre des citoyens en difficulté se sont miraculeusement transformées en demandes tout aussi éthérées que symboliques, romanesques et bien sûr administratives. Une splendide reformulation techno-littéraire dont on peut supposer qu’elle vise à éviter de parler du sujet tabou, cet impensé socialiste, à savoir la tragique désindustrialisation du pays, cette chute de la compétitivité qui fait si mal et qui nécessite un changement de paradigme politique radical dont le président ne sera jamais le héraut.        

Aussitôt après, le président défend le bilan de son gouvernement jusqu’à la minute treize, en utilisant abondamment le « on » et le « nous » ce qui n’est pas dans son habitude. Est-ce pour minimiser sa responsabilité dans la crise actuelle, crise survenue plus de deux ans après son élection ?

Autoritarisme et légitimisme

Dès la quatrième minute à peine, après avoir abondamment déconsidéré le mouvement des gilets jaunes, et pour définitivement clôturer le sujet, Macron déclare: « Aujourd’hui, l’ordre public doit revenir, avant  tout ». Ainsi aperçoit-on en filigrane le raisonnement présidentiel : le mouvement social est devenu antisémite et homophobe (entre autres), donc l’ordre doit être rétabli, fermer le ban.

C’est à ce moment précis du discours que le visage et la gestuelle du président trahissent de l’agacement : coudes soudainement posés sur le bureau, gestes agités des bras, mains ouvertes tous doigts écartés, regard soucieux. Ce ne sont visiblement pas les raisons de la crise sociale qui posent problème au président mais l’entrave que cela représente au maintien de l’ordre et à la bonne marche de son gouvernement.

Certes, Macron déclare aussitôt : « je ne veux pas que les dérives de quelques uns occultent les légitimes revendications portées à l’origine de ce mouvement… ». Or, bizarrement, cette phrase magnifique est dite sans la moindre émotion, comme récitée, à la différence de la précédente, ce qui bien sûr instille le doute quand à sa véritable sincérité.

Désinvolture

Quand on s’attache plus particulièrement aux mimiques du président, on croit régulièrement déceler comme une espèce de double jeu ou de cynisme. Comment expliquer en effet des sourires qui s’immiscent à des moments inopportuns du discours ? Certes, ce genre d’analyse est facilement subjectif et nécessite de ne considérer que les signes les moins sujets à interprétation. Or, certains rictus parfaitement avérés n’ont clairement pas leur place dans cette conférence.

Par exemple à la fin de la  minute treize, concernant  « l’art d’être  français »[8] lorsque le président  s’amuse de « cette capacité à débattre de tout, en permanence »… Bis repetita un peu avant la fin de la conférence (2:25:46) où le président rappelle « cet art un peu particulier d’être français » avec là un franc sourire ajouté d’un mouliné de la main droite signifiant c’est n’importe quoi le tout accompagné d’un clignement des yeux[9] trahissant une évidente exaspération.

Difficile de ne pas déceler dans ces sourires ironiques une espèce d’ahurissement, celui d’un haut fonctionnaire qui découvre la parole populaire dans toute sa rusticité débridée. Un étonnement qui semble presque aussi fort que celui d’un ethnologue observant du haut d’un hélicoptère une peuplade d’Amazonie non encore répertoriée.

Une conclusion qui se noie dans le verbe romanesque

La tirade finale (2:27:20) déjà décrite plus haut mérite d’être reproduite car elle en dit long sur la faible appétence du président (et de la classe politique) pour les solutions concrètes : « Je voulais vous remercier pour cette conférence de presse, il y en aura d’autres…/… parce que c’est aussi conforme à cet aggiornamento…/… ce que nous devons faire aujourd’hui, c’est d’ouvrir ce nouvel acte que j’évoquais, cette ré-humanisation, ce ré-enracinement d’un projet de transformation profond, c’est celui que je veux que nous réussissions…/…. J’y donnerai toute mon énergie et donc j’y reviendrai souvent avec vous…/… je crois très profondément à ce que j’ai évoqué à plusieurs reprises, cet art un peu particulier d’être français, c’est ce dont le pays a besoin et c’est une part de la réponse à la boule au ventre du matin, je crois que, je crois au symbole et à l’esprit du temps, ce qui s’est passé la semaine dernière et que notre pays a vécu…/… a dit quelque chose de la très grande spiritualité, l’esprit d’engagement de notre pays, de sa capacité à répondre, à se mobiliser, espérer et  vouloir renaître, et je crois que ce qui s’est vu et senti dans ce moment-là, c’est la part de vérité de cet art d’être français. C’est la fin de l’esprit de division, c’est la volonté de bâtir ensemble profondément, résolument ce modèle humain et français ».

Tout cela est lyrique, parfaitement allégorique, littérairement inspiré, romanesque à souhait, verbeux à foison. Hélas, ce n’est ni précis, ni concret, ni potentiellement efficace…

[1] Source vidéo RT France

[2] Les moments qui ne portent pas sur des points techniques, comme l’introduction et la conclusion : ces moments sont bien plus révélateurs que les autres

[3] 8,5 millions de téléspectateurs toutes chaines confondues, très en deçà des 23 millions de décembre

[4] Ce qui n’est pas complètement faux et qui va devenir de plus en plus vrai : la personnalité du président fait partie des raisons de la mobilisation populaire. S’il continue,  il en deviendra l’unique motif

[5] trait typique des personnalités narcissiques

[6] 2 heures27 au total

[7] Formule de rhétorique consistant à prendre une  partie d’un ensemble pour l’ensemble tout entier

[8] Faut-il rappeler que pendant la campagne présidentielle, Macron avait affirmé « la culture française n’existe pas »

[9] Le clignement des yeux est réputé symptomatique du mensonge. Il n’est en tout cas rarement anodin et trahit un surcroît d’activité mentale

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